Physique statistique et mécanique quantique.

En physique classique, l'état d'un système est la juxtaposition des états des sous-systèmes.  Cela veut dire que l'état d'un système de deux particules est l'état d'un système d'une particule et l'état d'un autre système d'une particule.  L'état d'un système de 5 particules consiste de 5 états d'une particule.

En physique quantique, cela n'est plus vrai.  L'état d'un système est bien plus compliqué que la juxtaposition d'états de sous-systèmes.  En physique quantique, un sous-système n'a pas d'état bien défini en général.  La propriété qui engendre cela, s'appelle "intrication" (en anglais: entanglement).  Un état quantique pure ne peut être défini que pour le système en entier, et non pour les sous-systèmes dès que ceux-ci sont intriqués (ce qui arrive dès qu'ils puissent interagir).  Un exemple typique est un système quantique fait de deux sous-systèmes de spin-1/2.  Si sous-système A est un système de spin-1/2 et sous-système B est un système de spin-1/2 et ils forment un système AB, alors AB peut se trouver en un état singlet ou trois différents états triplet.  L'état singlet du système AB ne donne pas un état de spin précis à A, ni à B.  En fait, l'état singlet est une combinaison de l’état haut de A et l'état bas de B, et de l'état bas de A et l'état haut de B.  D'ailleurs, le deuxième état triplet est aussi une telle combinaison, mais avec des phases différentes entre ces composants.  Ainsi, un état quantique pur n'a de sens que pour le système en entier.

Techniquement, un état quantique pur peut être représenté par l'opérateur de projection sur son état: | ψ > < ψ |

Bien sûr, comme c'était le cas en physique statistique classique, nous pouvons envisager un ensemble statistique de plusieurs états quantiques (purs), au lieu d'un seul.  Nous pouvons dire qu'avec probabilité p1, le système se trouve dans l'état quantique U, et avec probabilité p2 il se trouve dans l'état quantique V etc...

Techniquement, un tel ensemble peut être décrit par ce qui s'appelle un opérateur de densité:

ρ = Σ pi | ψi > < ψi |

Nous pouvons utiliser cet opérateur partout où nous pouvions utiliser le projecteur de l'état pur.  Cela est très remarquable.  La théorie quantique peut donc traiter un ensemble d'états quantiques comme s'il s'agissait d'une autre sorte d'état physique.  Cela n'était pas vraiment le cas en théorie classique.  Nous appelons ce genre d'état un état mixte.  En théorie quantique, il se comporte comme une genre d'état physique en soi.

En fait, la mécanique quantique vient au secours de la physique classique statistique concernant la notion d'entropie.  Nous avons dit qu'en physique statistique classique, l'entropie est donnée par la formule de Gibbs, en sommant sur tous les micro-états.   Le problème est qu'en physique classique, il y a un nombre continu infini de ces états !   Ce problème est traditionnellement contourné en postulant ad hoc une résolution finie de position et de vitesse (en d'autres termes, en considérant un volume minimum en espace de phase classique).  En théorie quantique, cet astuce ad hoc n'est pas nécessaire: le nombre d'états quantiques sont discrets tant que l'étendu spatiale du système est finie.  Ainsi, pour tout état macroscopique, il y a bien un nombre fini d'états microscopiques quantiques disponibles et la formule de Gibbs marche sans problèmes.  Chaque état microscopique est un état pur du système en entier.  Un système qui se trouve dans un état quantique pur a une entropie 0.  Si le système peut se trouver dans différents états microscopiques, cela est représenté par un ensemble, et, comme nous avons vu, par un état mixte.   La formule  de Gibbs marche toujours:

S = kB. Σ pi ln(1/pi)

Mais en plus, cette formule peut s'écrire aussi basé sur l'opérateur de densité:

S = - kB tr [ ρ ln(ρ) ] en unités thermodynamiques (J/K)

S = - tr [ ρ log2(ρ) ]  en bit.

Nous avions dit qu'un état quantique (pur) n'a de sens que appliqué au système en entier.  Cela peut paraître étrange, car le concept de système est quelque chose que nous considérons comme un choix de l'utilisateur: c'est une partie arbitrairement choisie du monde physique que nous voulons étudier.  Au lieu de considérer une partie du monde comme le système, nous aurions pu choisir un sous-système.  Mais ce sous-système n'aurait alors pas d'état quantique ?

Il s'avère que nous pouvons donner une description d'un sous-système, mais pas comme état pur, mais comme état mixte.  Si ρ est l'état du système AB décrit par son opérateur densité (qui peut être un état pur ou non), alors l'état mixte du sous-système A est:

ρA = trB [ ρ ]

trB est la trace partielle sur les degrés de liberté du sous-système B.

Ainsi, nous pouvons comprendre des états mixte comme le résultat du fait que nous ne considérons (toujours) qu'un sous-système du monde.  C'est d'ailleurs ce qui se passe pendant une mesure.  Pendant une mesure, il y a une interaction entre le système étudié et l'appareil de mesure (qui lui-même interagit avec le reste du monde).  Cette interaction provoque une intrication irréversible entre le système et le reste du monde, ce qui réduit tout état pur du système en en ensemble statistique, avec des probabilités pour différents résultats de mesure.

Cela explique pourquoi une mesure quantique contient une entropie irreducible avant la mesure.  Une mesure quantique est la forme la plus pure de l'ignorance d'un ensemble.  C'est la forme la plus pure de l'ignorance de "jeter un dé" et l'entropie d'information qui y est associée.   Nous voyons que le lien entre entropie, ignorance, ensembles d'états et information devient beaucoup intimement lié à la physique en théorie quantique. 

La difficulté de garder un système quantique dans un état pur est liée au fait que dès qu'il y ait la moindre interaction avec son environnement, il faut considérer l'ensemble système-environnement comme le "système" qui peut avoir un état pur.  Si nous gardons notre attention sur le petit système, cela devient un sous-système et son état devient donc mixte.   Comme "l'environnement" devient incontrôlable et croît en tout ce qui se trouve dans le cône-lumière avant de l'événement initial d'interaction, nous ne pouvons que considérer un système dans un état mixte dès qu'il y ait la moindre interaction avec l'environnement.  Nous appelons ce phénomène: la décohérence.   La décohérence implique toujours la création d'entropie (d'ignorance).  C'est ce phénomène qui est à la base de la deuxième loi de la thermodynamique.

 Entropie, gravitation et trous noirs.

Sans doute l'application la plus énigmatique d'information et d'entropie à la physique est le lien entre entropie et la taille d'un trou noir.  Il s'avérait une difficulté avec la théorie des trous noirs.  Un trou noir ne peut avoir que 3 propriétés: masse, charge (électrique) et impulsion angulaire.  Un trou noir possède une certaine masse, tourne avec une certaine vitesse angulaire, et peut être chargé électriquement.  La difficulté était: s'il y a de la chaleur qui allait dans un trou noir, où va l'entropie ?  Et sans cette comptabilité d'entropie, comment la deuxième loi de la thermodynamique peut se maintenir ?

Pour faire court, si nous avons un trou noir de masse M, alors le rayon Schwarzschild (le rayon de l'horizon d'événements) est donné par:

RS = 2 G M / c2  avec G la constante de gravitation de Newton, et c la vitesse de la lumière.

Si nous définissons la surface de l'horizon d'événement: A = 4 π (RS)2 alors nous pouvons prendre comme entropie (thermodynamique) du trou:

S = kB A c3 / ( 4 G h ) avec h la constante de Planck et si nous prenons comme température:

T = h c3 /  (8 π G M kB),

nous voyons que si le trou noir absorbe une énergie ΔE = c2 ΔM, alors ΔA = 32 π G2 M / c6  ΔE ce qui donne:

ΔS = 8 π G M  kB / (  h c3  ) Δ E =  ΔE / T parfaitement compatible avec la deuxième loi de la thermodynamique.

A part des constantes de conversion d'unités, nous voyons que l'entropie d'un trou noir est la surface de son horizon d'événement, et que la température est l'inverse de sa massa.  Son entropie croit à chaque absorption d'énergie (ou de masse, ce qui est équivalent en relativité) comme si c'était de la chaleur pure.  Le trou noir se comporte donc comme si c'était un réservoir de chaleur.  Cela concilie les trous noirs et la thermodynamique.  Cela implique aussi qu'un trou noir doit émettre de la radiation comme un radiateur à température T.

On peut montrer que la densité d'entropie est maximale avec un trou noir.  Il n'existe pas un système plus dense dans l'espace qui peut contenir autant d'entropie.  Un trou noir est donc la concentration ultime d'entropie, donc d'ignorance, ou si on veut, d'information (inaccessible).

Conclusion

Information, et son concept associé d'ignorance (entropie), qui ne jouait aucun rôle dans la physique avant la fin du 19ième siècle, s'est montré une idée unifiante et fondamentale dans une variété de branches de la physique moderne.  D'une quantité élusive et abstraite dans la théorie de la chaleur (thermodynamique classique) aux propriétés géométriques de trous noirs et la décohérence et la mesure en théorie quantique, l'information est devenu une notion centrale dans la description du monde.